A - LE PAYSAGE COMME SUPPORT DE L'IDENTITÉ
Le paysage est défini comme étant «les choses de l’environnement et la représentation de ces choses ».
Augustin Berque (1995). « Les raisons du paysage: de la Chine antique aux environnements de synthèse »
Le paysage se compose à partir du territoire; il en est une spécificité, un endroit de qualité reconnu par une collectivité et générateur d’images. D’après Lucie K. Morisset et Luc Noppen, celles-ci peuvent être à la fois mentales, architecturales et picturales tout en portant sur des enjeux politiques, culturels et expressifs. Elles sont issues de souvenirs communs, d’un passé historique, de valeurs propres à une collectivité ou d’une interprétation commune de la part d’une population. Une relation se tisse alors entre l’individu et son environnement, fluctuante dans le temps, mais primordiale pour la création d’images communes qui confèrent un caractère identitaire au paysage.
Le paysage est « une manière de voir et de prendre en considération un état du monde qui nous concerne de manière collective».
Catherine Grout et Denis Delbaere (2009). « Paysage, territoire et reconversion »
Les paysages deviennent donc les caractères propres et différenciateurs entre des lieux, créant une identité qui peut être à la fois collective ou propre à chacun. Elle passe aussi par une appropriation de lieux menant à des expériences à la fois physiques par l’espace bâti (souvent patrimonial) ou naturel (un boisé commémoratif, par exemple), mais aussi d’autres plus abstraites et immatérielles par des souvenirs qu’un lieu évoque. Elle vient alors créer un lien social fort dans la population.
L’identité paysagère renvoie également directement à une image qu’on se fait d’un lieu. Par exemple il est aujourd’hui facile d’associer la ville de New York à ses nombreux immeubles, la ville de Québec au Château Frontenac ou bien Paris à ses nombreuses cathédrales. Cela ne s’est pas fait en un court laps de temps, mais par une appropriation des milieux par les communautés sur une longue durée.
Figure 10 : La définition du concept de paysage
Par les auteurs
« Le processus de codification des paysages [...] par l’appropriation affective, esthétique, puis par les pratiques et les équipements qu’il peut induire, est au cœur de la relation subjective et symbolique que les sociétés entretiennent avec leur cadre de vie, au cœur de la territorialisation».
Anne Sgard (2008). « Qu’est-ce qu’un paysage identitaire? »
Ce système de codification par lequel les paysages identitaires se construisent est beaucoup plus établi dans un contexte socio-économique et humain. La codification établit un lien entre le paysage identitaire et la population qui le côtoie, tout en étant modulable selon son mode de vie. En plus des critères de codification vient se greffer un caractère beaucoup plus moral, soit une hiérarchisation de valeurs humaines et d’autres, plus attribuables directement aux paysages. Une question se pose alors : comment classifier les paysages pour qu’ils maintiennent constamment un sentiment identitaire ? Celui-ci deviendrait alors un repère dans les sociétés modernes pour développer des valeurs humaines et un sentiment d’appartenance
B - L'ATTACHEMENT DES COMMUNAUTÉS À LEUR MILIEU
Le paysage culturel se définit comme un regroupement « d’œuvres matérielles et non matérielles qui expriment la créativité d’un peuple ».
François Varin (1995). « Le paysage culturel, l’identité d’un milieu »
Le paysage culturel est alors une continuité et une vision plus englobante du concept de patrimoine. En effet, il joue le rôle d’initiateur d’une identité qui pourra par la suite évoluer avec le temps, car le paysage culturel marque les mémoires individuelles et par le fait même la mémoire collective. En effet, selon le sociologue Maurice Halbwachs, la mémoire individuelle est un échantillon de la mémoire collective, provenant toutes deux des paysages que les individus fréquentent chaque jour et qui sont ainsi marqués dans les esprits.
Ainsi, les paysages identitaires s’inspirent directement du passé commun des individus ainsi que de la pensée collective d’un groupe pour développer un sentiment d’appartenance fort face à ces lieux. Les individus, ayant une capacité de se remémorer le passé, seront attirés vers certains paysages auxquels ils seront portés à s’identifier et se définir par ceux-ci. Les paysages identitaires pourront alors jouer un rôle social fondamental et même « un rôle thérapeutique en permettant aux individus de se connaître, de s’apprécier et de progresser » (François Varin, 1995), pour reprendre les propos de la Commission des biens culturels.
Figure 11 : La définition du concept de mémoire collective
Par les auteurs
Le paysage identitaire est appelé à jouer deux fonctions :
Image que le groupe veut donner de lui-même vis-à-vis des collectivités externes.
Elle induit souvent un grand sentiment de fierté par la population envers les autres; le caractère identitaire est alors assuré, car la collectivité qui se définit selon ces paysages, tout en voulant les protéger à tout prix.
Véritable ciment social en raison des souvenirs et des valeurs qu’il porte.
Ces valeurs peuvent être d’ordre esthétiques, artistiques, historiques, économiques ou sociales. Selon Anne Sgard, elles se transforment alors pour s’associer aux paysages et devenir des valeurs plutôt définies comme étant marchandes, patrimoniales et identitaires.
Les spécialistes Anne Sgard et Maurice Halbwachs s’accordent tous deux pour affirmer que les paysages peuvent aussi être perçus et interprétés différemment selon les individus, tout dépendamment des groupes auxquels ils s’identifient (artistes, scientifiques, etc.) et de leurs souvenirs. En effet, certains paysages sont alors conçus et considérés comme de simples objets. Quantifiables, mesurables, géographiques, ils représentent les éléments visibles en tant que structures du paysage. Cependant, si l'on mesure le paysage selon une multitude de points de vue, de lectures et d’interprétations, on vient à enchevêtrer plusieurs mémoires individuelles pour obtenir un paysage comme une représentation de la mémoire collective. Si l'on métaphore le tout, on s’intéresse alors plus au lecteur qu’au texte qu’il lit. Il s’agit en fait de s’immerger dans l’imaginaire de chaque individu, ce qui permet de sortir les qualités des paysages qui le rendent porteur d’une identité et d’un sentiment d’appartenance pour créer un lien fort entre les personnes et le milieu qu’elles habitent, véritable reflet de ses valeurs.
Figure 12 : Les deux fonctions du paysage identitaire
Par les auteurs
C - RECYCLAGE ET RÉACTUALISATION DES PAYSAGES
Le recyclage des lieux définit le paysage comme « un outil et un argument pour s’approprier les espaces et cristalliser l’identité d’une collectivité».
Philippe Béringuier, Magali Bertrand et Pierre Dérioz (2009). « Paysages, territoire et reconversion »
Le recyclage et la reconversion des paysages arrivent souvent grâce à un événement-clé. À chaque fois, la question de l’identité reste au cœur des débats, car on veut la préserver, l’adapter et la consolider. Il faut alors se pencher sur un remodelage réfléchi des paysages, des interventions chirurgicales qui se font par une naturalisation, une ornementation, une mise en valeur d’un élément particulier, une densification du bâti et une promotion des déplacements actifs.
Le paysage joue alors « le rôle de paradigme de médiation entre l’espace et la société qui l’habite » (Catherine Grout, 2009) et de nouveaux espaces publics collectifs, porteurs de cette nouvelle identité paysagère, sont alors créés.
Cependant, il ne faut pas oublier que dans la majorité des cas, lors du processus de recyclage d’un paysage, il existe des structures de permanence spécifiques à chaque lieu. Celles-ci sont mises en avant grâce à un outil précis, la morphogenèse, et participent à la création d’images référentielles qui contribuent à forger l’identité de ces espaces si particuliers. Ainsi, Lucie K. Morisset et Luc Noppen définissent alors ces lieux comme des paysages patrimoniaux, générateurs d’identité et d’appropriation et issus de la mémoire collective. Les deux experts s’accordent aussi pour dire que l’imitation des formes de cette époque passée peut contribuer à une unité du bâti et sur le paysage, donc à un continuum spatio-temporel (Luc Noppen, 1995).
Pour éviter une reproduction trop littérale qui ne ferait qu’attirer les touristes, il est important de créer un dialogue entre le passé historique et l’époque contemporaine. Cela peut se faire entre autres par une conservation minutieuse du bâti existant par rapport au contexte urbain tout en intégrant le nouveau grâce à l’usage de matériaux similaires, mais aussi par l’intégration d’éléments au contexte précis, comme tente de l’aborder Alena Prochazka dans sa thèse portant sur le projet urbain comme catalyseur de l’identité. Ainsi, on sera en présence de paysages patrimoniaux identitaires où deux époques cohabitent et se complètent, générant une richesse dans le paysage.
Figure 13 : La démarche de recyclage des paysages
Par les auteurs
Figure 14 : La richesse dans les paysages à la rencontre entre deux époques
Comme mentionné précédemment, la création d’images dépend directement de la collectivité qui habite le territoire et de son passé. Lucie K. Morisset et Luc Noppen se questionnent aussi sur l’avenir de l’identité des paysages en raison de la nouvelle mixité sociale et ethnique. Les images de références et les mémoires individuelles, issues de multiples passés, seront alors différentes. Il serait donc judicieux de mettre l’emphase sur l’identité paysagère sur une plus grande échelle du type nationale pour la faire intervenir à l’échelle plus petite (régionale ou locale). C’est ici que le projet urbain et son outil, le master plan, prennent de l’importance. En effet, ils permettront de réactualiser l’identité tout en renforçant le lien entre la nouvelle population et les paysages pour développer de nouvelles images pour être en adéquation avec des problématiques multiples comme la décroissance progressive urbaine, une densification accélérée non planifiée ou un étalement urbain
Par les auteurs
Qu'est-ce que cela induit ?
Éléments
Figure 15 : Éléments à considérer pour consolider les paysages identitaires
Toutefois, les projets urbains ne peuvent parfois se réaliser que sur de longs délais et prennent moins en considération l’importance de la participation citoyenne. La conception directement pour la population permet pourtant à la communauté de s’approprier et de s’identifier au paysage reconverti. De plus, la population ne peut souvent pas intervenir sur un lieu en particulier en raison de la réglementation stricte et des processus bureaucratiques complexes. Ainsi, une nouvelle pratique, l’urbanisme tactique, commence à voir le jour et permet à la population de participer activement à l’expression des paysages identitaires. Ces projets urbains, exprimés à petites échelles et souvent éphémères, peuvent servir de prémisses à un projet urbain de plus grande envergure et cherchent à affirmer l’identité de la collectivité en transformant un lieu en un paysage vibrant et fort de son identité.
Par les auteurs